Chaque année, l’Institut propose un séminaire de recherche. Il s’agit d’un module où, autour d’un intervenant principal, les professeurs de Philanthropos et d’autres sont invités à mener une réflexion commune. Pour les étudiants, c’est l’occasion non seulement d’entendre un cours mais d’assister à des conversations entre philosophes ou théologiens, et d’entrer ainsi, comme par effraction, dans l’élaboration vive d’une pensée.

Simone Weil (1909-1943), née dans une famille juive agnostique, eut pour premiers maîtres Platon et Descartes. Hantée par l’injustice, elle abandonna son poste de professeur pour travailler en usine. Elle participa à la guerre civile espagnole dans le camp anarchiste. Sa rencontre avec le Christ constitua le moment décisif de son existence. Ses écrits reflètent sa puissance spéculative et sa quête mystique, autant que son intransigeante intégrité.

Simone Weil a opéré un triple tournant au sein de la philosophie française d’inspiration cartésienne. D’abord, un dépassement de celle-ci vers une pensée de la « perception-travail », ouvrant la tradition réflexive à une perspective pratique et sociale. Ensuite, à partir de l’expérience de l’oppression ouvrière, du malheur et de la barbarie, opposée à celle de la grâce, une transformation radicale des philosophies modernes du sujet. Enfin, le déploiement d’une métaphysique de la médiation dont l’audace spéculative, articulant hellénisme, christianisme, pensée orientale et modernité, est unique dans la philosophie contemporaine.

Son intelligence philosophique est d’autant plus précieuse qu’elle ne se réfugie pas exclusivement dans l’empyrée de la philosophia perennis. Témoin d’une époque détestable, elle a voulu la penser. Car elle a pressenti l’imminence de la catastrophe et surtout les conséquences catastrophiques de la catastrophe. À cet égard, elle joue le rôle irremplaçable de ceux qui annoncent le destin apocalyptique de l’humanité, pour tenter d’inverser le cours du temps. Elle a fait sienne la règle implacable de G.-K. Chesterton : toute pensée qui ne devient parole est une mauvaise pensée, toute parole qui ne devient acte est une mauvaise parole, tout acte qui ne devient fruit est une mauvaise action. Il s’agit assurément de l’une des plus grandes pensées de notre tradition philosophique.

Emmanuel Gabellieri, professeur émérite de l’Université catholique de Lyon, est un des plus grands spécialistes mondiaux de Simone Weil. Il lui a consacré plusieurs ouvrages capitaux, dont récemment Être et grâce. Simone Weil et le christianisme (Cerf, 2023), précédé de Penser le travail avec Simone Weil (Nouvelle Cité, 2017). Héritier de la tradition du spiritualisme français, il dialogue en profondeur avec les œuvres de Maurice Blondel, Hannah Arendt ou Jean-Luc Marion pour développer une métaphysique du don.